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Retour sur le sommet contre la pollution plastique avec Jean-François Ghiglione, chercheur au CNRS : « avant de gérer les déchets, on devrait se poser la question de la production du plastique »

plastique décharge Mexico

Décharge à Nezahualcoyotl, banlieue de Mexico City, Etat de Mexico, Mexique (19°25'11.44"N - 98°59'35.99"O)

La cinquième session de négociations pour un traité mondial sur la pollution plastique, qui rassemblait plus de 170 pays à Busan (Corée du Sud) s’est achevée lundi 2 décembre par un échec. Jean-François Ghiglione, directeur de recherche CNRS, est revenu pour GoodPlanet Mag’ sur cette session de négociations et ses enjeux.

Un projet de traité et des divergences géopolitiques

Les négociations sur le Traité mondial contre la pollution plastique à Busan se sont achevées ce lundi matin sans accord. Comment expliquer cet échec ?

Cette cinquième session de négociations est un échec car nous espérions qu’un accord puisse être obtenu, mais nous avons assisté à une confrontation entre deux groupes de pays aux perspectives différentes. 

D’un côté, la coalition de la « haute ambition », composée par plus de 75 pays, a des objectifs bien affichés dans le traité. De l’autre, un groupe de pays qui s’y opposent, dont les pays du Golfe et la Russie.

« Les scientifiques et observateurs ont été sortis des discussions plusieurs fois »

L’échec de ces négociations dépend cette fois d’enjeux géopolitiques qui me dépassent. Les scientifiques et observateurs ont été sortis des discussions plusieurs fois. Les négociations ont porté sur des cadres géopolitiques qu’on ne maîtrise pas du tout.

[Lire aussi: Et la plus grande délégation aux négociations sur le plastique en Corée du Sud est…]

Comment cette dimension géopolitique a-t-elle impacté les négociations ?

Il a fallu attendre jeudi pour qu’ils soient d’accord sur le texte de départ, alors qu’il s’agissait déjà de la cinquième étape de négociations pour un traité mondial sur la pollution plastique.

Mais malgré l’échec des discussions, nous n’avons pas enterré le traité. Le délai pour l’élaborer était certainement trop court. Les pays n’ont pas réussi à se mettre d’accord cette fois, mais nous espérons une nouvelle session de négociations le printemps prochain avec un traité à la clé.

[Lire aussi: « Très, très lent »: les négociations sur la pollution plastique piétinent à Busan]

Quels étaient exactement les objectifs des discussions sur le Traité contre la pollution plastique ?

L’objectif était d’adopter une position commune afin de mettre en place une stratégie de lutte contre la pollution plastique. Il s’est heurté aux différents intérêts des pays en présence.

« Le succès des pays de la « haute ambition » a été de considérer le plastique dans son cycle de vie complet »

Tout l’enjeu des négociations est le niveau de la réduction de la production de plastique primaire. Est-ce qu’on réduit de 20 %, de 50%, de 100% ? Comme les accords pour le climat, où on donne un objectif de 1,5 degré, il va falloir donner un chiffre. Les pays du Golfe ne sont pas pour que la réduction soit inscrite dans le traité. Il a fallu que les scientifiques, cette année, fassent tous les calculs imaginables pour donner des valeurs qui tiennent la route.

[Lire aussi : Le plastique et ses pollutions en chiffres]

Le succès des pays de la « haute ambition » a été de considérer le plastique dans son cycle de vie complet. Ils ont donc soutenu le point de vue de la Coalition Scientifique Internationale pour un Traité Ambitieux. Cette coalition compte plus de 400 scientifiques indépendants, du monde entier. Ils assurent une information aussi transparente que possible, et qui ne soit pas influencée par les nombreux lobbies présents. Jusqu’à présent, la question de la pollution plastique n’était traitée que par l’angle de la gestion des déchets. Considérer le cycle de vie complet du plastique est une avancée majeure, parce qu’il utilise aujourd’hui à peu près 10-15% du pétrole mondial.

Mais les pays producteurs de pétrole n’aiment pas trop qu’on se pose la question de la production du plastique, car cela touche directement à la production de pétrole. En effet, lorsque l’on parle de cycle de vie complet, on inclut la production de pétrole, le transport, les usages et les déchets qui finissent majoritairement dans des décharges ou dans des incinérateurs.

Comment cela s’est-il traduit dans les propositions ?

Au départ, les pays les moins ambitieux du traité voulaient mettre en avant le fait que certains pays, particulièrement d’Afrique et d’Asie, ne sont pas capables de bien collecter leurs déchets, leur faisant porter la responsabilité de la pollution. La seule chose qu’ils proposaient était donc d’améliorer la collecte et améliorer le recyclage.

Mais à force de chiffres et d’argumentations avec tous les pays du monde, nous nous sommes rendu compte que le recyclage est un leurre qui a été orchestré depuis des années. Il nous fait croire qu’en mettant nos produits dans la poubelle jaune, nous allons résoudre tout le problème. Pourtant, seulement 9% du plastique est recyclé dans le monde. Le concept même de l’économie circulaire qui repose sur le recyclage du plastique n’est donc pas une réalité.

« Le recyclage est un leurre qui a été orchestré depuis des années»

Avant de gérer les déchets, on devrait se poser la question de la production du plastique. Elle a été multipliée par deux dans les 20 dernières années. C’est énorme, car différents scientifiques ont montré qu’il y avait un lien de corrélation, c’est-à-dire un lien direct, entre la production et la pollution. Plus on produit, plus on pollue. Ça a l’air évident, mais ça a été démontré scientifiquement. Donc, l’enjeu des pays de la « haute ambition », c’est de mettre sur la table la question de la réduction de la production du plastique primaire.

Evidemment, cela ne satisfait pas les pays producteurs de pétrole, d’autant qu’ils bénéficient largement d’une production de plastique qui ne cesse d’augmenter, en donnant au pétrole une forte valeur ajoutée.

Quelle était la proposition principale des scientifiques?

« Mettre sur la table la question de la réduction de la production du plastique primaire »

La réduction de la production de plastique primaire est la mesure la plus importante que nous demandons en tant que scientifiques. Elle a été reprise et argumentée par la plupart des pays de la coalition de la « haute ambition ». Le plastique primaire désigne les petits granules de plastiques qui sont commercialisés par les plasturgistes. Ils sont ensuite fondus et moulés pour être à la base de tous les produits plastiques. On produit ainsi que 460 millions de tonnes de plastique chaque année.

Pourquoi en finir avec le plastique

Pourquoi est-il si urgent de réduire la pollution plastique ?

Le plastique a un effet sur trois aspects. Le premier est le changement climatique car le pétrole et la majorité des déchets vont être soit enfouis dans des décharges, soit incinérés, ce qui a un impact sur le CO2. Le deuxième impact est sur la pollution, et le troisième sur la biodiversité.

« Pour tenir les engagements climatiques de 1,5°C de l’Accord de Paris, il faudrait réduire de 25 % la production actuelle »

Pour tenir les engagements climatiques de 1,5°C de l’Accord de Paris, il faudrait réduire de 25 % la production actuelle. Ces 25% sont vraiment un minimum. Des ONG et différents pays prennent en compte la pollution et l’impact sur la biodiversité, et certains annoncent le chiffre d’une diminution nécessaire de 70 %. Pour donner un ordre d’idée, réduire de 50 % la production de plastique équivaut à revenir aux niveaux de production d’il y a 20 ans.

Ce sommet a-t-il tout de même permis de « très bon progrès » comme l’a affirmé Inger Andersen, cheffe de l’ONU environnement ?

Il y a eu des progrès dans les concepts, mais pas dans la négociation. Un traité peut se définir par les concepts qui y sont inscrits. Signer un traité ne veut donc pas dire en signer l’application. Comme pour le climat, il y a ensuite les COP qui vont définir les paramètres de cette application. Le traité représente le début de ces négociations.

« Il y a eu des progrès dans les concepts, mais pas dans la négociation »

A Busan, la première avancée a été de prendre en compte le cycle complet du plastique et l’objectif de réduction. La deuxième avancée a été de faire accepter que le recyclage n’était pas un objectif en soi du traité mondial, mais seulement une toute petite partie. Les industriels aiment bien mettre en avant les bénéfices du recyclage et de l’économie circulaire, mais on se rend compte que ce ne sera pas une solution face à l’augmentation de la production de plastique. Cela fait croire aux consommateurs qu’ils peuvent continuer à consommer et que leurs déchets seront gérés par la suite. Mais très peu de ces déchets créés sont recyclés, donc cela ne fonctionne pas.

[Lire aussi: Plastique : la cheffe de l’ONU environnement défend le résultat des négociations de Busan]

Le deuxième point concerne les produits chimiques qui sont ajoutés dans les plastiques. Cette année, nous, la communauté scientifique, avons pu montrer dans un rapport qu’à peu près 16 000 molécules chimiques sont présentes dans les plastiques. Parmi elles, plus de 3 000 molécules sont aujourd’hui déclarées toxiques. Pourtant, elles ne sont pas régulées sous prétexte du secret industriel. Une régulation de ces additifs chimiques est donc aussi un sujet de tension dans les négociations pour le traité.

Que sont ces additifs ?

La Coalition scientifique internationale a listé tous ces produits chimiques, les a classés par groupes et a demandé que certains, comme les perturbateurs endocriniens, soient interdits. Les retardateurs de flammes, par exemple, sont remplis de ces perturbateurs endocriniens qui vont jouer sur nos hormones. Les plastifiants, les stabilisants, tous les colorants rajoutés au plastique ont une grosse potentialité d’être toxiques. Plus que le polymère qui compose la majorité du plastique, ce sont ces produits chimiques qui rendent le plastique toxique. Enormément de preuves scientifiques montrent que tous les échelons de la chaîne alimentaire sont affectés par la pollution chimique des plastiques. On ne peut plus faire comme si de rien n’était.

« Tous les échelons de la chaîne alimentaire sont affectés par la pollution chimique des plastiques »

A Busan, les négociations tournaient aussi en rond avec des pays qui veulent limiter cette régulation des produits chimiques aux jouets pour enfants. Mais il faut l’étendre à tous les plastiques, car tous les plastiques ont un impact sur la santé de l’environnement et sur la santé humaine. Une redéfinition de la structure chimique des plastiques impacterait la chimie mondiale. Forcément, il y a des oppositions, mais beaucoup de pays commencent à y réfléchir, ce qui est plutôt encourageant.

Le rôle des consommateurs

Aujourd’hui, le plastique est omniprésent dans nos quotidiens. Comment le consommateur peut-il agir à son échelle ?

Au niveau du consommateur, le message est de ne plus fermer les yeux en se disant que nos déchets sont bien gérés une fois qu’ils sont mis dans la poubelle jaune.

[Lire aussi: Tri des déchets : les Français progressent sur le plastique, mais restent loin de l’objectif européen ]

C’est un peu le message de toutes ces entreprises qui, comme CITEO, gèrent nos déchets jetés. On sait désormais que les déchets sont mal gérés. En France, qui est un pays développé, on arrive à recycler seulement 12% des plastiques. Ça veut dire que nous ne recyclons vraiment qu’une poubelle sur 10. Le reste est enfoui ou incinéré.

« Tout se passe au magasin dans le choix de nos produits »

Une fois qu’on se rend compte qu’il faut réduire sa consommation plastique, le seul moyen est de consommer différemment. On ne peut pas imposer aux gens de ne pas aller dans les grandes surfaces, mais le plastique y est omniprésent. On ne peut qu’engager les gens à aller trouver des commerces locaux. Tout se passe au magasin dans le choix de nos produits. C’est le choix de chacun. Cet objectif de réduction peut être fait avec plaisir. Ce n’est pas une contrainte, seulement un changement d’habitude.

L’usage du plastique paraît pourtant nécessaire, existe-t-il une alternative viable ?

Le plastique a beaucoup d’avantages. Il est peu coûteux, on est capable de faire tout et n’importe quoi avec, comme on peut le voir dans tous nos produits de consommation.

L’inconvénient majeur du plastique, c’est sa durée de vie. Les plastiques ont été créés pour durer des dizaines, voire des centaines d’années. Il faut donc réduire les usages de plastique seulement pour quelques minutes, voire quelques semaines. Ça n’a pas de sens.

[Lire aussi: Le plastique, une histoire de la société de consommation]

On ne pourra pas se passer totalement du plastique. Mais nous pouvons agir sur nos produits du quotidien, pour sortir de la spirale de notre consommation effrénée de produits jetables.

« Le combat majeur aujourd’hui, c’est les plastiques à usage unique et les emballages »

La majorité des déchets qu’on retrouve dans l’environnement sont des plastiques à usage unique ou des emballages. Donc, le combat majeur aujourd’hui, c’est les plastiques à usage unique et les emballages. Ces derniers représentent 40 % de la production mondiale de plastique. Donc, enlever l’emballage, c’est déjà enlever 40 % du problème. La loi AGEC (Loi Anti Gaspillage pour une Economie Circulaire, adoptée en 2020 en France) a cette ambition d’éliminer les emballages d’ici 2040. C’est aussi envisagé à l’échelle européenne. Il faudrait que cela fasse tache d’huile au niveau mondial et qu’on arrête d’emballer et suremballer nos produits.

Propos recueillis par Audrey Bonn

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